Milan Kundera - 28.05.2009

Publié le par La Côte - Culture

Milan Kundera, chantre
d'un art nommé roman

  

Il y a deux Milan Kundera. Le premier est un romancier tchèque né en 1929 à Brno qui a fui son pays alors sous le régime communiste pour la France, dans les années 1970. On lui doit notamment L'insoutenable légèreté de l'être, Risibles amours ou encore Le livre du rire et de l'oubli, tous écrits dans sa langue maternelle. Et il y a le Milan Kundera lecteur, passeur de livres, essayiste et grand théoricien de l'art romanesque, qu'il défend envers et contre tout. De 1986 à 2005, l'homme a publié trois essais magistraux pour rendre ses lettres de noblesse au roman, souvent incompris (voire totalement dénigré, par les Surréalistes notamment), et relégué au simple rang d'histoire racontée sans tenir compte de la prétention esthétique du genre. Trois livres en forme de trilogie (L'art du Roman, Les testaments trahis et Le rideau) auxquels vient s'ajouter le tout récent Une rencontre, ultimes analyses et anecdotes du romancier sur sa discipline, et qui vient boucler la boucle de son legs à l'histoire de «son» art.


Territoire où le jugement moral est suspendu

Mais qu'est-ce qui définit l'art du roman? Tout au long de ses quatre essais, Kundera multiplie les définitions et les exemples, en citant ses maîtres et ses amours, Rabelais, Diderot, Kafka, Broch, Musil, Chamoiseau. Et Kundera de commencer (Les testaments trahis) par une citation d'Octavio Paz: ni Homère ni Virgile ne connurent l'humour… L'humour ne prend forme qu'avec Cervantes…

Le roman serait donc le lieu où l'humour et l'invraisemblance ont pu naître. Un territoire où le jugement moral est suspendu, explique Kundera. Où un personnage peut se rendre coupable des plus grandes lâchetés sans pourtant qu'on ne lui en tienne rigueur. Car, toujours selon l'auteur, le roman ne cherche pas à moraliser, mais à comprendre l'homme: les héros d'épopée vainquent ou, s'ils sont vaincus, gardent jusqu'au dernier souffle leur grandeur. Don Quichotte est vaincu et sans aucune grandeur. Car, d'emblée, tout est clair: la vie humaine en tant que telle est une défaite. La seule chose qui nous reste… c'est d'essayer de la comprendre (Le Rideau).


De Rabelais à Rushdie

Autre question importante: comment le roman a-t-il évolué? Pour commencer, Kundera parle d'un art du «roman européen»: je ne veux pas dire par là, romans créés en Europe par des Européens, mais, romans faisant partie d'une histoire qui a commencé à l'aube des Temps modernes en Europe.

Et Kundera d'en faire sa généalogie: l'Italie de Boccace, puis la France de Rabelais et l'Espagne de Cervantes et du roman picaresque. Puis le XVIIIe siècle du grand roman anglais et, à la fin de ce siècle, l'intervention allemande de Goethe. Puis le XIXe, entièrement consacré aux Français avec, dans le dernier tiers, l'entrée du roman russe et l'apparition du roman scandinave. Puis, le XXe siècle et son aventure centre européenne avec Kafka, Musil, Broch et Gombrowicz. C'est dans notre siècle (ndlr: le XXe) que, pour la première fois, les grandes initiatives du roman européen naissent hors de l'Europe; d'abord en Amérique du Nord, dans les années vingt et trente, puis, avec les années soixante, en Amérique latine.

Puis ce que Kundera appelle «roman d'au-dessous du trente-cinquième parallèle», ou roman du Sud. Avec les Antilles de Patrick Chamoiseau et l'Inde de Salman Rushdie: une nouvelle grande culture romanesque caractérisée par un extraordinaire sens du réel lié à une imagination débridée qui franchit toutes les règles de la vraisemblance.


Kundera à la source

Certes, les romans de Kundera sont truffés de ce que l'auteur appelle lui-même «des polyphonies», à savoir, faire cohabiter plusieurs genres (narration, essai, poésie, traité,…) dans une même œuvre. Et ses lecteurs sont familiarisés avec ses longues digressions, souvent musicologiques. Mais les présents essais montrent un Kundera plus pertinent que jamais: à travers l'histoire du roman, il sonde l'Histoire de l'Europe. Pour tous les curieux et les amoureux de romans.


Les œuvres de Kundera, chez Gallimard


Rodolphe Haener
Photo DR
28.05.2009

 

Publié dans Littérature

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