Philippe Geluck - 23.10.2009
Philippe Geluck,
la face cachée du chat
On connaissait Philippe Geluck trublion - le voilà provocateur, on lui collait volontiers une image «politiquement correct»: le voici totalement déjanté. Le créateur belge, à l'occasion de la sortie de son dernier opus Geluck se lâche, n'a rien perdu de son mordant. Pour les lecteurs de La Côte, il se livre dans un entretien qui n'a d'espiègle que le nom.
Philippe Geluck vous passez pour un auteur plutôt lisse, pourquoi ce livre décalé?
Justement, c'est pour dire le contraire! Je l'annonce d'ailleurs, ce livre est inconvenant et impoli. C'est vrai que deux choses ont «lissé» mon image, mon passage chez Drucker et Le Chat. Mon public belge sait très bien que je suis un enfant terrible. La crapule sympathique qui est en moi et le gamin insolent que je suis ne sont pas morts!
Vous écrivez: «le bon goût est le marteau qui frappe le clou du cercueil de l'humoriste». Avez-vous l'impression de pouvoir tout dire dans votre travail?
Lorsque je dessine pour Siné hebdo oui, à la télévision non. C'est un média trop généraliste où l'on doit modérer ses propos. D'ailleurs, je pense que la provocation pure et dure ne mène à rien.
Vous considérez-vous comme un dessinateur «engagé»?
(Long silence…) Je crois que la réponse est oui! Depuis longtemps, j'exprime mon souci pour la planète et l'écologie. Quand le Chat dit: «les types qui déboisent la forêt amazonienne font un geste pour l'environnement, désormais ils mettent de l'essence sans plomb dans les tronçonneuses», je crois que cela montre clairement de quel côté je me situe.
Vous dissertez sur la langue française, on vous sent très amoureux du verbe?
Oui, je prends un plaisir énorme à l'écriture. Je dois dire que la mort de la langue française m'inquiète parce qu'elle est réelle. Pour nous, en Belgique, le français est une langue de résistance. Nous considérons que c'est une chance de parler le français, ce qui n'est pas du tout le cas en France. Nous avons une sorte de «réflexe des petits» qui se sentent directement menacés par leurs encombrants voisins!
Vous êtes très nostalgique de l'enfance, considérez-vous avoir gardé sa cruauté et son innocence?
Sans doute. D'ailleurs, je pense que ce livre est, dans une certaine mesure, cathartique. J'ai eu une enfance très heureuse, mais j'ai l'impression qu'elle fait partie de la vie de quelqu'un d'autre! Ce n'est qu'à l'adolescence que j'ai pris conscience de qui j'étais réellement.
Vous avez des réflexions sur la Belgique qui sont drôles, mais non dénuées de bon sens, est-ce un pays malade?
Bien sûr, je ne sais même plus si c'est un pays! Normalement, une nation, c'est un groupe de personnes qui a envie de vivre ensemble. Ce n'est plus du tout le cas en Belgique. Et pourtant, il y a une âme, c'est ce qui me rend fou! Il y a un esprit qui y règne, cela vient de temps très anciens, des peintres flamands. La Belgique existe, mais c'est peut-être une vue de l'esprit. C'est probablement pour cela que nous sommes un peuple qui se réfugie dans le rêve et la création…
Geluck se lâche. Editions Casterman.
Daniel Bujard
23.10.2009
PHOTO: DR